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Épisode 9 : de l'envol de l'espoir


C’est donc une corneille plus anxieuse que je récupérais chez moi cette fois-ci.


Avant de l’accueillir, j’avais préparé la chambre. Le lit renversé afin qu’elle ne se cache pas dessous était recouvert d’une bâche. Le grand carton ouvert l’accueillait avec de nouvelles serviettes propres, j’avais placé des planches et autres supports entre le carton et le sol afin qu’elle puisse y entrer et sortir à sa guise, avec cette fois la chambre entière pour continuer son développement même en appartement.


Bien différente de la dernière fois, elle me craignait davantage, manifestait une plus grande vivacité, et surtout, une fois séchée, je pus voir que ses plumes étaient devenues noires !


Presque je me dis que j’en avais embarqué une autre. Non, rassurez-vous, simplement que débarrassée de la tique elle avait directement repris des forces.


Mon humeur m’amène au présent, désolée aux puristes des coordinations de temps


Je laisse la corneille se tranquilliser seule, avec de quoi manger et de quoi boire. Sauf qu’elle ne boit ni ne mange seule. Alors je passe quand même la voir. Pour lui donner la béquée, et le « biberon » de chaton rempli d’eau. Je lui file des mouches mortes qu’elle déchiquète mais elle peine à les faire passer dans la gorge. Elle sait déglutir, par contre il y a de quoi galérer avec un bec si long et si fin. Ça prend un temps d’apprendre à faire glisser les moucherons. J’essaie de l’aider, sans non plus faire comme si je préparais un foie gras de corneille. La véto le faisait, mais ça force à une contrition de son corps qui me paraît rajouter du stress. Compliqué le dilemme. Bien-sûr que je veux être vigilante sur le risque d’imprégnation. Par contre, clairement, ma priorité est qu’elle se sente bien là maintenant, sans exploser ses taux de cortisol à chacune de nos interactions.

Et si je peux lui permettre de développer des apprentissages pour mieux survivre après le passage de la tondeuse c’est cool. Tout de même, je me retiens de l’entraîner avec des jeux, quoique je dispose de ci de là quelques objets roulants ou à potentiel d’intérêt. Et je file la laisser seule.


Au bout de quelques heure un gros ramdam retentit. Je l’entends comme se débattre et se cogner une fois. Alors je vais m’assurer qu’elle aille bien.

Et là c’est le bonheur. La Corneille veut se percher en hauteur. Elle tourne au sol en répétant mentalement les mouvements qu’elle s’apprête à faire. Il y a d’abord quelques gamelles, qui décollent pas plus haut que le meuble devant elle, celui qu’elle se prend de plein fouet à plusieurs reprises sans ciller. La belle est déterminée. Ma présence ne la distrait pas, elle est centrée sur son objectif.


Et c’est là que son premier vol décolle sous la caméra de mon téléphone jusqu’à se poser sur le petit meuble qui lui a donné tous ces fracas au crâne depuis un quart d’heure. Elle est fière. Elle ne s’arrête pas là. Elle reproduit l’exploit. Maladroitement, en se gamellant encore à plusieurs reprises sur différentes surfaces. Elle s’essaie à la fenêtre avec beaucoup d’élan. Bon, bah, forcément, non. Mais elle persiste. J’ai peur pour elle à chaque fois, mais vu sa vitalité, je me retiens d’intervenir. Elle apprend à se prendre les vitres, et c’est mieux qu’elle l’apprenne ici que sur un chemin passant avec des chiens qui la bouffent dès qu’elle est sonnée. Enfin c’est ce que je me dis.


En deux étapes, elle parvient à se percher sur le pied du lit renversé. Face à fenêtre, derrière mon paravent de Marilyn Monroe qui rajoute une protection à la bâche. La corneille est fière. Elle n’a jamais été si haute depuis sa tombée du nid.


Comme je sens qu’elle aurait de la peine à descendre, je lui amène son assiette à côté. Lentilles corail cette fois, avec un peu d’œuf, j’ai l’impression qu’elle apprécie davantage que les croquettes. Et puis je l’aide à boire. À cette occasion je nous accorde un moment selfies, toutes deux pleines de cette joie de son exploit. Curieuse de son reflet, elle observe attentivement le téléphone. C’est dingue ce que je l’aime cette corneille là.


Derrière nous, trône un des nombreux crucifix de ma pieuse grand-mère hérité par mon fervent athéiste de père suite à une blague fraternelle mortuaire, puis que nous nous sommes nous-mêmes répartis entre frangin-es à la mort du paternel. Il trône à mon mur suite à une vidéo de nonne un peu chaude faite pendant le confinement. Le voir sur les photographies entre elle et moi m’amuse. C’est un peu la réunion de ce qui s’oppose. L’humain et le corbeau, le christianisme et l’animal symbolique de la sorcellerie. J’ai toujours aimé la sorcellerie.


Ma frangine, branchée du chamanisme, me lit le totémisme de la Corneille. Gardienne de la Loi de l’Univers, gardienne du texte, elle a le regard sur l’ombre et la lumière.

La corneille a le regard sur la fenêtre. Elle ne s’aventure pas davantage au vol pour la journée, et elle reste passer sa première nuit perchée sur le pied du lit.

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