Épisode 7 : Privilégier un oiseau à sa propre famille? Ça se fait?
- Yuna S. Tourmen
- 9 nov. 2020
- 4 min de lecture
Si vous désirez une fin heureuse aux histoires, arrêtez-vous ici, et dites-vous que libérée de la tique qui l’affaiblissait, la belle corneille aux plumes de neiges a enfin pris les forces nécessaires pour s’envoler, sous l’oeil attentif de ses deux parents, et qu’elle vit sa vie de corneille.
Aurevoir cher lecteur-rice, et retiens bien qu’un corbeau au sol est la plus-part du temps un juvénile en sécurité veillé par ses deux parents.
Ah oui, aussi, évite de le nourrir au pain, ce n’est pas bon pour les oiseaux. À la longue ça déforme leurs os, ça empoisonne leur système digestif qui ne le digère pas, ça cause des symptômes similaires à une cirrhose et jeter du pain dans l’eau développe des bactéries dans la vase qui les infectent et les paralysent. Ici tu auras des articles qui l’expliquent : https://sciencepost.fr/pourquoi-ne-faut-il-pas-donner-de-pain-aux-oiseaux/
Beaucoup conseillent des croquettes de chat (et pas de chatons) gorgées par de l’eau. Ou de la farine de maïs empâtée par de l’eau, ça c’est mon amie Cécilia qui m’en a ramené, et la corneille avait littéralement adoré.
Souviens-toi aussi qu’un corvidé est considéré comme un nuisible, et que, ah tiens j’avais oublié de le préciser, légalement tu n’as pas le droit de l’accueillir chez toi. Contacte les LPO et les Centres de la Faune Sauvage. Bon envol à toi !
En attendant le rappel des espaces verts pour connaître le jour de tonte, j’arpentai la promenade, vérifier que les machines ne viennent pas, et vérifier que la corneille était toujours bien par là et en vie.
Chaque chien croisé libre sur le sentier m’angoissait. Je craignais aussi qu’un passant ne la repère et ne la reprenne avec les meilleures intentions du monde en l’exposant à de nouveaux traumas par la même erreur que moi qui n’avais pas connaissance de cette spécificité des corvidés juvéniles qui peuvent se retrouver au sol inaptes à voler sans être réellement en danger de mort. Quoique pour ma part c’était différent, je m’étais sentie véritablement interpellée (même si j’avais également hautement conscience qu’une autre interprétation existât pour les plus sceptiques). Et la corneille avait vraiment eût besoin de soins (sa plaie à son aile, puis la tique, parasite responsable de nombreuses morts d’oiseaux, certains les disent même condamnés dès que mordus). Enfin là, je cherche à me justifier face aux critiques extérieures et virtuelles de l’éternel qui aimeront donner leurs leçons et me dire que j’aurais dû ceci ou cela. Bref. C’est le lot du partage d’expériences. Juste, je n’étais pas sereine, et trop d’incertitudes empêchaient ma tranquillité.
Le jeudi, j’ai enfin reçu un rappel des espaces verts. L’adorable secrétaire avait tenu parole et s’était renseignée auprès du responsable sur le planning des tontes.
De base, pour rappel à vos mémoires performantes mais certainement défraîchies à force des multiples pérégrinations philosophiques entrecoupant mon récit, j’avais établi en conjuguant le casse-tête de toutes les données que j’avais, et en prenant en compte que je partais initialement en Bretagne ce vendredi, que :
-si les espaces verts tondaient dans la semaine à venir, on amenait la petite corneille à la vétérinaire de St Nazaire, en la mettant en contact avec Geneviève (mon ami Cris avec le coeur secourable était prêt à faire le déplacement)
- par contre, s’ils tondaient à plus d’une semaine, je la laissai avec ses parents en espérant qu’elle sache voler avant d’être déchiquetée par la grosse tondeuse ou que je puisse la secourir à temps en revenant de Bretagne si elle traînait encore sur la pelouse du chemin.
Évidemment, ce que me dit la secrétaire compliquait mes plans, car elle me dit que la tonte imminente, (en raison des risques d’incendie de l’été, même s’ils établissent leurs interventions en tâchant de prendre en compte le rythme de reproduction des oiseaux) devait se faire ce vendredi. Demain quoi. Ou, en fonction du temps peut-être le lundi ou le mardi au plus tard. Bon…
Là… Je me questionnai sérieusement. L’idéal pour la vie de cette corneille semblait être que j’annule mon séjour en Bretagne, et que je la récupère chez moi, le temps que les machines passent, et de pouvoir la remettre aussitôt à ses parents, si toutefois l’endroit lui permettait encore quelque refuge où se cacher des prédateurs, chiens et passants.
Est-ce que ma mère et ma grand-mère, qui m’attendaient de pied ferme depuis déjà Noël et après toute cette période de confinement, comprendraient sans m’en vouloir ?
Moins sûr.
Sûre qu’elles aimaient toutes deux les animaux et comprendraient mon rapport à cette corneille, mais moins sûr qu’elles ne se vexent pas à sentir que je privilégie une corneille après 6 mois sans se voir en pleine pandémie.
Au fond de moi, je sais qu’il me faut apprendre à prioriser ce qui me fait le plus sens plutôt que de me tordre pour ce que les gens attendraient de moi. Quitte à décevoir les gens que j’aime. Et, autant je pourrais revenir en Bretagne plus tard, autant vivre pleinement et jusqu’au bout cette expérience avec la corneille, c’était maintenant ou jamais.
Si à une échelle spéciste et humaine, il est compréhensible de s’interroger sur cette priorisation d’un oiseau sur ma propre famille, à l’échelle de la vie de cet oiseau, le priver éternellement de sa famille en l’envoyant en refuge pour éviter les tondeuses alors qu’il me suffit de le prendre au maximum 3-4 jours chez moi avant de le relâcher en sécurité avec les siens, c’est éminemment important. Mes aïeules, quoiqu’un peu déçues, comprirent l’enjeu et ne me firent aucun reproche sur ma décision.
Il me fallait aussi prévenir une autre parente, avec qui je devais faire le trajet vers mes terres natales, mais là je savais qu'elle comprendrait. Nous avions déjà parlé de cette corneille ensemble, et son propre père avait eût un corbeau en compagnon. J’avoue que par moments ce fantasme avait existé dans mes rêveries. Rêverie vite chassée de ma réalité pour optimiser le meilleur avenir pour elle, en conscience que mon appartement, bien que proche de sa famille, n’était sans doute pas le meilleur espace de vie, ni moi la meilleure gardienne de corneille. Et pour cause. La triste suite le prouva bien…
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