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Épisode 10 : Ses premiers vols prometteurs, mais une mort dans mes bras coupables...

Dernière mise à jour : 16 nov. 2020


Vendredi.


Pardonnez ma voix gaga sur la vidéo, elle venait d'hésiter pendant 2 minutes avant de s'élancer, et c'était le premier.

Elle s'essaie assidûment au vol, l'envie d'y arriver lui brûle les ailes, comme une prisonnière qui y voit la clé de son plan d'évasion. Son corps choque plusieurs fois contre le mur ou la fenêtre. J'ai mal pour elle, mais je la laisse expérimenter. Mieux vaut qu'elle se gamelle ici et apprenne déjà la dangereuse transparence des vitres. Je suis fort heureuse pour elle de tous ses apprentissages. Mais ses vols encore trop bas et mal assurés, autant au décollage qu'à l'atterrissage, ne me permettent pas de la redéposer le jour du passage de la tondeuse.


D’autant qu’il pleut à verse et que ça ne va pas lui faciliter la tâche d’avoir les plumes mouillées.


J'aimerais l'aider dans ses apprentissages, lui faire des jeux de boîtes à ouvrir, de différents systèmes ingénieux qui pourraient lui donner des facilités pour se débrouiller une fois en liberté dans un milieu urbain. Mais je sais que je ne dois pas l'imprégner. Et j'ai dans l'idée de la redéposer le lendemain, les tondeuses ne passant pas le week-end.


Par contre, quand je suis près d'elle pour la faire boire et manger, je vois bien à quel point ça grouille dans ses ailes. Ce n'est pas seulement son envie de s'envoler qui grouille, non. Je parle des parasites. Ça grouille. Après l'énorme première tique, j'ai un peu peur pour elle. Je ne suis pas non plus très rassurée pour mon logement. La vétérinaire m'a conseillé une pipette à chaton "Stronghold", cette marque et pas une autre m'a t'elle bien précisé. Ça coûte une blinde. Un ami m'en dépanne une qui lui reste de ces chats. Ça devrait le faire pense la véto. En lui mettant bien entre les deux ailes sur sa peau.


Je ne me pose pas 36 000 questions. Je n'ai jamais utilisé ce type de produit. Je pense que si c'est pour des chats qui peuvent se contorsionner et se lécher entre eux (le pelage, bande de dégénérés zoophiles!), c'est quelque-chose qui ne doit pas avoir de toxicité conséquente à être ingéré. Je lui mets le produit en fin d'après-midi, avec l'aide d'une amie. Des étranges bestioles volantes s'enfuient d'elle. Des bestioles peu réactives aux tentatives d'assassinat à la chaussure contre le mur mais en revanche méga archi de ouf résistantes aux semelles et autres armes de crimes. Du genre qui survivent à une explosion nucléaire les mandibules dans le pif.


La corneille, que je ne nomme qu'ainsi pour ne pas ajouter à l'imprégnation naturelle que j'ai d'elle, commence à s'intéresser à l'eau que je lui avais mis dans une petite écuelle, et a enfin compris le processus pour y tremper le bec. Pour lui faciliter la tâche et parce que je vois que ça la fascine, je lui place une plus grande écuelle. Avant de me coucher, je la vois au dessus de l'écuelle, qui se gratte le produit et se le rince.


Je pense que je l'aime, qu'elle est de plus en plus débrouillarde, et que demain en fonction de ses progrès et de la météo, je pourrais certainement la rendre à ses parents. Et j'en suis infiniment heureuse. La pensée que le produit et l'eau ne font pas bon mélange me traverse. Je me dis que c'est un produit agréé pour des animaux, que les animaux se lèchent, et que ce n'est que ma propension d'anxieuse chronique à anticiper tous les risques possibles et inimaginables qui s'exprime en cette pensée. Alors je la chasse et je vais me coucher sereine et heureuse de la joie qu'elle aura à retrouver la liberté, grande de tous ces nouveaux savoirs.


Le matin, levée de bonne heure, je suis surprise de ne pas l'entendre s'entraîner. Quand j'ouvre discrètement la porte, elle semble se reposer sur le bureau qui est contre la fenêtre, la tête envieuse vers la vitre. Afin de ne pas l'imprégner je me restreins de l'approcher davantage. Passée une heure, je m'inquiète de ce peu de mouvement et me décide à l'approcher.


La corneille est mal en point, en souffrance, le souffle court, avec des difficultés motrices. Je comprends directement le drame comme une intoxication. J'appelle la vétérinaire, elle me dit travailler ce matin et pouvoir l'examiner, je tâche de trouver une voiture pour y aller, je la tiens contre moi dans une serviette, je fouille pour trouver du charbon et la faire boire, je vois sa langue blanche, je l'amène sur le balcon pour qu'elle ressente le vent, tandis que j'ai un adorable voisin au téléphone à qui je demande pour filer à St Nazaire en voiture mais qu'il m'explique qu'il ne pourrait pas avant de faire ceci ou cela et qu'il part dans du blabla inutilement chronophage en ce genre de moments d'urgence mais qu'il est si difficile de couper car la personne vous offre son aide alors malgré toute sa gentillesse, j'abrège et lui dis que de toute façon je ne suis même pas sûre qu'elle tienne le coup jusque là. Mais là... Alors que je n'avais eu de cesse de l'encourager et de la rassurer en la tenant dans mes bras, c'est la première phrase défaitiste que je prononce et elle me regarde droit dans les yeux à ce moment-là. Je sens chez elle méfiance, colère, et renoncement. Après quelques mouvements de tête, elle s'éteint. Je ne sais si la paralysie corporelle est vraiment la mort. Je la laisse dans un nid de serviettes au grand air du balcon.


Mais quand je vois plein de micro-parasites noirs partir de son corps, je comprends avec certitude que c'est fini. Je comprends aussi que malgré la proposition de Cris de lui faire une sépulture digne, je ne vais pas avoir le temps à moins d'infester mon appartement et mon immeuble de ces parasites dont mon plus grand cauchemar est que ce soient des tiques (je passerai le weekend à tout désinfecter et fumigéner des bestioles qui se répandaient en centaines). Je ne peux pas non plus déposer son corps en nature en ayant à l'esprit que c'est peut-être le produit appliqué la veille qui l'a tuée et abîmer d'autres êtres. Alors je la mets dans un sac plastique, et je pars, honteuse et en larmes, l'amener à la poubelle de jardin publique semi-ouverte qui est à côté de l'endroit où son premier habitat s'était écroulé, deux semaines plus tôt.


Sa mère, ou père, me rejoint sur l'arbre au dessus et me croasse des questions. Je tâche de lui montrer un peu la dépouille de son enfant que je porte, sans pouvoir non plus l'exposer ouvertement très longtemps, tant par douleur du cœur que par conscience du risque de propagation de ces bestioles microscopiques sur moi quand j'ouvre le sac. Je glisse le sac ouvert dans cette poubelle à faux couvercle. Puis je parle à la mère.


Je lui explique que son enfant est dedans. Que j'ai échoué. Que je lui présente mes excuses sincèrement tristes et ma compassion pour sa douleur. Qu'elle ne reverra pas son enfant. Elle croasse sans sembler comprendre la situation, sans avoir repéré ce que je viens de faire. Je pars en m'excusant, tandis qu'elle me poursuit de croassements de questions sur une bonne partie du chemin.


Je ne prendrai plus ce chemin pendant deux mois. Pour moi. Et pour ne pas réactiver la douleur et la colère des parents. Aujourd'hui leurs croassements à mes passages ne me semblent plus chargés d'émotion ou de volonté de communication quelconque.


Avouer que j'ai eu dans ma pensée l'alerte de ce que je pense aujourd'hui avoir causé sa mort le lendemain matin je ne suis capable de l'écrire que maintenant. En ce jour de Toussaint où je pense publier ce texte auquel il manquait ce dernier épisode. Parce que reconnaître l'endroit précis où ma responsabilité de protection a failli et a entraîné la mort est difficile et douloureux. Alors j'omettais cette pensée furtive dans mon récit. Une forme de lâcheté qu'on a tous quand ça nous est douloureux, et parce que c'est pas évident de se dire qu'on a été néfaste quand on avait les meilleures intentions. Non par pitié, ne me sortez pas cette phrase bateau, vous résumeriez tellement mal toute cette rencontre. Gardez vos enfers bien rangés ailleurs.


Peut-être que mon émotion envers un oiseau vous paraîtra inappropriée. Que pleurer pour cela et le partager vous semblerait indécent au vu des drames plus importants. Je vous ai dit déjà en commençant mon récit à l'épisode 1. J'ai grandi un peu. Un peu seulement.


L'histoire est triste. Une amie de Cris, une grande dame que j'espère rencontrer un jour, aujourd'hui dans le coma en raison du covid et j'espère de tout cœur qu'elle va s'en sortir indemne, m'avait proposé son aide lors de cette épopée d'oiseau. Cette grande dame dont je n'entends parler que sur la richesse de son cœur immense et amoureux des animaux entre autres tendresses qu'elle déploie, disait à Cris que la manière dont la corneille était morte lui évoquait un corvidé qu'elle avait elle-même tâcher de sauver. Sans produit antiparasitaire. Mais qui au bout de 48h de captivité s'était laissé mourir à la fenêtre avec des mêmes types de symptômes qui paraissent neurologiques.

Les thèses que j'avais lues sur les tiques disaient qu'un oiseau mordu ne survivait pas et mourrait dans les huit jours.

Je pense encore que c'est le produit et l'écuelle d'eau, mais je ne peux pas l'affirmer.

Toujours est-il que contrairement à ce que la secrétaire m'avait annoncé, les espaces verts n'ont pas tondu cet endroit, pendant au moins deux semaines...


Le sens de cette histoire? Je la laisse encore m'apprendre de ses mystères.

Que nulle information nous paraissant fiable ne permet de présager de l'avenir? Qu'il convient de laisser les oiseaux se débrouiller ?

Pour morale, je dirai qu'il n'y a aucune loi simpliste qui tienne ici. Comme ailleurs sans doute.

Sans doute simplement accepter l'injustice et la vacuité de la vie en prenant les cadeaux et les apprentissages qu'elle nous donne.

Une chose est sûre, chaque corneille que je croise me remplit d'amour. Puissiez-vous également avoir appris de ce récit pour mieux aider ces oiseaux, et vous émerveiller autant que moi de leurs enseignements, de leur magie claire-obscure, entre juste et injuste, entre force et faiblesse, et entre ombre et lumière ...


[Et maintenant que je poste cet écrit, la grande dame évoquée est sortie du coma, et ça c'est une très bonne nouvelle :-) ]





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